Êtes-vous talentueux.ses ?

La question du talent n’a peut-être jamais été aussi importante que durant ces derniers siècles. Cette importance est certainement liée au développement des pratiques artistiques, des sciences et autres domaines qui requièrent certaines compétences fruit d’un travail assidu et de capacités. Mais elle est également une forme d’affirmation de l’individu sur l’ensemble de la société. Peut-être plus que jamais l’être humain ne s’est pensé comme individu isolé et indépendant. 

Aujourd’hui tout le monde veut être talentueux, reconnu pour ses qualités ou ses aptitudes dans certains champs de compétences. Avec le besoin de trouver dans cette reconnaissance une valeur démontrée et remarquée qui s’accompagne également bien souvent d’une notion de succès.

Les chrétiens ne sont pas à l’abri de cette manière de penser et de se penser au sein de la communauté. Elle a même aujourd’hui pris une importance particulièrement significative au sein de certaines d’entre elles qui, encourageant au développement de ses talents, y voient bien souvent une preuve de consécration de laquelle découle une vie bénie, utile au royaume de Dieu, s’assurant la reconnaissance du maître au jour de sa réunion avec lui.

Nous abordons là la célèbre parabole des talents que nous trouvons en Matthieu 25. 14 à 30.
Dans celle-ci, le maître remet ses biens à ses serviteurs. A chacun, selon sa capacité, des talents sont confiés. Bien entendu, le talent en question est ici une somme d’argent mais la symbolique et l’appel sont bien là : tu as reçu du maître des talents et une capacité, à toi de faire fructifier ce qui t’es confié.

Je ne vais pas détailler cette parabole, mais souhaites simplement faire remarquer le point qui va suivre. Nous sommes en présence de 3 personnes : la première va recevoir dix talents et va en produire dix autres, la deuxième cinq talents et va en produire cinq autres et la troisième qui a reçu un talent ne va pas le faire fructifier et son résultat sera nul.

« Pourquoi n’avons-nous pas, dans cette parabole des talents, d’exemples exprimant un entre-deux ? »

Pourquoi, dans cette parabole, Jésus ne prend que des exemples qui produisent autant qu’ils ont reçu (sachant que la quantité de talents reçus n’est pas l’important, seulement la fidélité au maître). Et pourquoi, pour marquer la différence, l’illustre-t-il avec l’exemple d’une personne qui ne produit rien ? En d’autres termes, pourquoi n’avons-nous pas d’exemples exprimant un entre-deux ? Un produit de cinq talents pour dix initialement reçus ou trois pour cinq initialement reçus ?

Si la logique que Jésus voulait développer ici était de mettre l’accent sur la consécration avec l’idée que l’on puisse réussir ou faillir à la mission confiée il me semble qu’il aurait mentionné un de ces exemples. Mais il n’apparaît pas. Que faire de cela ? Il me semble que la notion de consécration telle que nous pouvons la comprendre d’une manière performative avec la possibilité d’être défaillant et de décevoir le maître n’est pas ici à l’œuvre. Jésus semble bien plutôt spécifier une simple chose à son auditoire qu’il affirmera encore bien plus clairement ailleurs dans les Évangiles étant que sans lui nous ne pouvons rien faire. Jean 15.5 : « Je suis le cep, vous êtes les sarments. Celui qui demeure en moi et en qui je demeure porte beaucoup de fruit, car sans moi vous ne pouvez rien faire ». Ce passage n’est pas un encouragement à nous consacrer à Dieu, mais une affirmation que nous avons besoin d’être entés sur le cep c’est-à-dire de recevoir la nature de Christ pour pouvoir porter du fruit et voir ce fruit grandir. Ce qu’il affirme juste avant en Jean 15.3 : « Tout sarment qui est en moi et qui ne porte pas de fruit, il le retranche ; et tout sarment qui porte du fruit, il l’émonde, afin qu’il porte encore plus de fruit ». Être retranché n’est pas la même chose qu’être émondé et « être en lui » ne signifie pas ici littéralement lui appartenir. De même que dans la parabole de Matthieu « avoir » n’est pas véritablement posséder (nous devons considérer les images et les paraboles pour ce qu’elles sont en en comprenant le message direct et non s’attacher aux détails).

Que celui qui n’a reçu qu’un seul talent ne soit en mesure de faire fructifier ce seul qui lui a été confié nous atteste que la possibilité de produire le moindre bénéfice utile au royaume de Dieu est en lui. Et semble bien affirmer que c’est sa nature en nous qui va produire du fruit et non nos propres efforts. Nature de Christ que ne semble pas posséder ce dernier contrairement aux deux premiers.
Bien que les auteurs bibliques nous encouragent à la consécration, elle n’est que l’expression d’une nature acquise en Christ dont lui seul est à l’origine et le garant du développement. Car si les croyants sont appelés à travailler à leur salut, c’est bien lui qui produit dans leur vie le vouloir et le faire (Philippiens 2.13). Verset pointant la nécessité de réaliser cette dépendance afin de s’y abandonner dans une paix et une joie confiantes.

Ce passage n’est certainement pas l’avertissement que l’on puisse faillir dans la fructification des talents reçus, mais bien l’affirmation qu’elle se réalise uniquement en lui. En lui, aucun n’est par nature disqualifié, mais tous sont appelés à glorifier Dieu pour la capacité qu’ils ont reçu de lui, par lui et pour lui de le servir dans la liberté accordée par cette nature de Christ en eux et ainsi d’accomplir ces bonnes œuvres préparées d’avance (Ephésiens 2.10).
Il n’est donc pas ici question de faire, autrement dit de talent à faire fructifier par soi-même, mais simplement de puiser la vie auprès de celui qui nous abreuve et que lui seul saura concrétiser en œuvres selon sa volonté. Des œuvres de joie qui en définitive ne sont rien d’autre qu’une vie vécue dans la joie du maître.